Première française et deuxième femme de l’histoire à décrocher un contrat avec la World Wrestling Entertainment (WWE), la plus grande instance de catch dans le monde, Artemis Ortygie a pris le soin de se confier pour Le Sport au Féminin. Son parcours de combattante, sa passion pour le catch, la crise sanitaire et ses objectifs pour la suite de sa carrière, l’arbitre tricolore n’élude aucun sujet. Entretien exclusif.
En mars 2020, Artemis d’Ortygie entrait dans l’histoire en devenant la deuxième femme arbitre à la World Wrestling Entertainment, la plus grande instance du catch dans le monde. Quelques années après Jessica Carr, première femme à obtenir un contrat avec la WWE, la Française s’est fait une place au sein d’une discipline qui s’adressait majoritairement aux hommes. « Je me disais que c’était un rôle qui n’était pas ouvert aux femmes ». Et pourtant, la Tricolore a bousculé les idées reçues pour réaliser son rêve. Tombée amoureuse du catch dès son adolescence, Artemis d’Ortygie envisageait d’abord une carrière de catcheuse, avant de se blesser gravement à l’épaule. En avril 2019, elle a mis de côté sa tenue de catcheuse pour enfiler la tunique noire et blanche et se lancer dans une carrière d’arbitre. Touchée par de graves problèmes de santé, elle a ensuite été contrainte de mettre sa carrière entre parenthèses pendant près de deux ans. C’est en 2018 qu’elle décide de réactiver ses réseaux sociaux et qu’elle reçoit un message de la part d’un producteur de la WWE. La suite, on la connaît ..
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Comment vous-êtes vous retrouvée dans le monde du catch ?
Quand j’étais adolescente je zappais à la télé et je suis tombée par hasard sur le catch. Ca a été le coup de foudre, j’ai tout de suite accroché. A mes 18 ans j’ai cherché un club de catch près de chez moi et j’ai commencé à m’entraîner là-bas. J’ai commencé en tant que catcheuse en 2008, malheureusement je me suis gravement blessée à l’épaule. Comme je voulais rester dans le monde du catch j’ai décidé de devenir arbitre, ce qui n’était pas évident car à l’époque il n’y avait quasiment pas de femme arbitre dans le monde. Je me suis dit « pourquoi pas » et j’ai tenté l’aventure. En 2014 je suis partie vivre en Angleterre car la France n’était pas vraiment une terre de catch, c’était compliqué de progresser ici. C’est là-bas que tout a commencé. Je participais à des évènements tous les week-end et tout commençait à bien se goupiller pour moi. J’ai eu ensuite de gros soucis de santé en 2016 et j’ai du mettre tout ça entre parenthèses pendant un long moment.
J’ai eu une opération qui a totalement changé ma vie, dans le bon sens du terme. Quand je suis revenue en 2018, j’ai réactivé mes réseaux sociaux un peu par hasard, et un producteur de la WWE m’a contacté pour venir faire un essai. C’était assez incroyable, je ne m’y attendais pas car cela faisait trois ans que j’avais pris ma retraite des rings, je n’avais plus de contacts etc ..
Vous êtes la deuxième femme de l’histoire à devenir arbitre pour la WWE. Est-ce une fierté ?
Oui c’est une fierté. Avant Jess Clark (première femme arbitre de l’histoire à la WWE ndlr), quand j’arbitrais en Europe jusqu’en 2016, je ne pensais même pas que c’était possible car aucune femme n’avait jamais arbitré à la WWE. Je me disais que c’était un rôle qui n’était pas ouvert aux femmes. Quand Jess Clark est devenue arbitre, j’étais très contente pour elle et j’ai réalisé que c’était possible. Je traversais une période compliquée à l’époque donc je n’y ai pas trop pensé sur le coup. C’est incroyable pour moi d’être la première française à devenir arbitre .. En allant faire mon premier entraînement de catch en 2008, jamais je n’avais imaginé un tel scénario. Il faut toujours se battre.
Comment fonctionne la WWE ?
La WWE est divisée en « main roster » avec d’un côté Raw, et de l’autre Smackdown. C’est le graal pour tout catcheur et tout le monde veut y participer. Il y a ensuite d’autres branches aux Etats-Unis avec la NXT. En général, les nouveaux talents du catch passent par la NXT qui leur sert de tremplin pour la WWE. En 2018, la NXT UK a été crée et un centre de performance a été ouvert en Angleterre.
Il n’y a malheureusement pas d’équivalent en France. En France et en Europe en général, on manque de moyens financiers pour développer de telles structures. C’est quasiment impossible de vivre du catch en France, en particulier en ce moment avec la crise sanitaire. J’aimerais que la discipline soit plus médiatisée mais surtout que les choses changent en terme de statut. En France, il n’y a aucune réglementation par rapport au catch. N’importe qui peut ouvrir une promotion et devenir entraîneur .. C’est très dangereux et il y a beaucoup de blessures. C’est quelque chose qui fait beaucoup de mal au catch. Je sais qu’il y a quelques personnes qui essaient de faire bouger le catch et j’espère qu’on obtiendra des résultats concluants dans un futur proche. Pour suivre le catch en France, il existe une plateforme de streaming (https://watch.wwe.com/), c’est un peu le Netflix du catch.
Comment arbitrez-vous un show scénarisé ?
Le rôle des arbitres est tout d’abord de faire respecter les règles car il y en a beaucoup dans le catch. On est aussi là pour s’assurer de la santé et de la sécurité des catcheurs et des catcheuses. Même si c’est scénarisé, en tant qu’arbitre on n’est pas forcément au courant de tout. On ne fait pas partie du «show» à 100%, on est vraiment là pour arbitrer. On a beaucoup de responsabilités car on peut arrêter le show à tout moment si on voit qu’un catcheur s’est blessé etc … La santé des catcheurs est notre priorité absolue. A la WWE on a plusieurs médecins qui sont sur le qui-vive et qyu peuvent intervenir rapidement pour décider si on continue ou non le show. Lorsqu’on fait des show indépendants, la décision dépend entièrement de nous et on a parfois un petit plus de pression.
Quid du monde du catch en cette période de crise sanitaire ?
C’est évidemment très compliqué en ce moment. En France, tout est à l’arrêt, plus personne ne fait de show actuellement. En Angleterre on a passé près de six mois sans rien faire suite au premier confinement. Il y a beaucoup de contrats télé en Angleterre donc ils passaient des rediffusions. On a commencé à reprendre avec des mesures très strictes en août 2020. D’habitude on s’entraîne tous ensemble au centre de performance à Londres, désormais on est séparé dans des petits groupes de six personnes, on y va que deux trois heures par jour puis on rentre à l’hôtel .. C’est très différent. Les enregistrements des matchs se font à huis clos. Le premier show sans public était très bizarre. En tant qu’arbitre on est la première personne sur le ring et les catcheurs font ensuite leur entrée. On se retrouve seule dans un silence de cathédrale. C’est très particulier, surtout dans le monde du catch où le public est très important.
Avez-vous déjà arbitré un show de WWE aux Etats-Unis ?
L’an dernier on m’avait proposé d’aller passer un mois aux Etats-Unis à la NXT pour arbitrer l’évènement Axxess, puis le coronavirus est passé par là et les frontières ont fermé deux jours avant mon départ. J’espère que quand la situation rentrera dans l’ordre ils me contacteront pour aller arbitrer là-bas. Ca fait partie de mes objectifs d’aller arbitrer aux USA, mais pas à temps-plein. Le fait qu’ils aient ouvert NXT UK me permet de vivre en France et de rester aux côtés de ma mère dont je suis très proche. J’aimerais y aller au moins une fois pour arbitrer chaque branche de la WWE.
Photo à la Une : (@DR)