Julie Cailleretz est une ancienne ciétiste de l’ASL Saint-Laurent Blangy. Médaillée toute jeune aux championnats d’Europe Junior puis au Mondiaux en 2019, elle semblait promise à des années étoilées. Pourtant, deux ans avant les Jeux de Tokyo, la charge mentale que lui ont imposé, maladroitement, ses entraineurs, l’a poussé à mettre sur pause sa carrière pour une durée indéfinie. L’Arrageoise s’est confiée pour Le Sport au Féminin à propos de la notion de pression imposée aux sportifs de haut niveau ainsi que pour évoquer son nouveau projet professionnel et ses actions dans des organisations sportives.
Bonjour Julie, dans un premier temps, pouvez-vous vous présenter par le biais d’épisodes marquants de votre carrière ?
Aujourd’hui, j’ai 25 ans mais j’ai commencé le canoë quand j’étais en CM2 et j’ai rapidement accédé au parcours de haut niveau qui était à disposition dans les sections sportives dans les collèges et les lycées. J’ai fait ma première médaille internationale en Junior 1, j’avais 16 ans. J’ai fait 2ème en C2 500m puis 3ème en C1 200m aux championnats d’Europe Junior. En 2019, je finis 3ème en C2 500m Europe et 2ème aux Mondiaux en C2 200m.
La canoë est un sport atypique, pourquoi vous êtes-vous penchée vers cette discipline ?
Petite j’habitais en face de la base nautique de mon village, c’est le premier club français donc c’est une très grosse structure qui attire l’œil. Il y a un parcours d’eau vive que l’on voit de loin. Je voyais cet aménagement, de la route, et ça m’a attiré. Au début je faisais du kayak parce que le canoë féminin était vraiment inconnu, pas du tout développé. Finalement, peu de temps avant les championnats de France, alors que j’étais encore minime, on m’a demandé si je voulais faire du canoë, j’ai dit que j’étais d’accord. C’est comme ça que j’ai vraiment commencé. J’ai fait mes premières médailles en championnat de France et après les bons résultats s’enchaînent quand tu t’entraines dur. C’est la récompense !
Vous visez les Jeux Olympiques de cet été, vos résultats de 2019 étaient très corrects (6ème au championnat du Monde), pourtant vous avez raté la qualification.
Je me suis peut-être un peu trop entêtée avec les Jeux de Tokyo. Quand je suis passée en sénior, j’ai eu des soucis à une épaule et j’ai dû me faire opérer deux fois. J’ai dû attendre 8 mois avant de reprendre sérieusement. Nous avions l’objectif de faire du C2 aux Jeux mais ça a assez vite basculé. L’année passée, le projet c’était clairement les Jeux, je m’entrainais chaque jour pour. Dans ma tête, tout était calculé, je voulais faire les JO puis me concentrer sur mon avenir professionnel. J’ai une licence mais je n’ai pas d’idée d’un avenir pro précis. Donc le COVID a chamboulé tous mes plans. Nous sommes rentrés de stage et nous avons été confinés. La reprise ne m’inquiétait pas car j’en avait fait plusieurs les années précédentes, j’étais plutôt contente de pouvoir me poser un peu. Entre temps j’ai emménagé dans un appartement, tout allait pour le mieux. Tout le monde était dans le même cas de figure, j’imaginais une reprise progressive. Voilà le hic, nous avons repris comme si de rien n’était, comme si la pause forcée n’avait jamais existé.
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La fatigue chronique s’installe chez Julie, mais ses entraineurs ne la croient pas. Son corps lui lance pourtant des signaux, son cœur ne monte plus pendant les entrainements, elle pleure lorsqu’elle se rend au club, mais rien à faire. Pour eux, c’est un manque d’envie, elle a une nouvelle vie depuis le confinement, elle habite avec son copain et ses animaux, finalement c’est une sorte de feignantise qu’ils pointent du doigt. Il a fallu qu’elle dise stop, un matin où elle doit se rendre pour un stage de trois semaines à Temple sur Lot, elle vomi d’appréhension et son mal être prend le dessus. Elle quitte la formation et ne remettra plus depuis les pieds dans un club de canoë.
Il y avait un prépa mental à la fédération qui m’avait déjà dit, en décembre, que j’étais en burn out mais quand j’en ai parlé à mon entraineur il m’a ri au nez. Selon lui le burn out c’était un concept ridicule qui ne collait pas à la situation. Le sentiment de culpabilité était énorme, je me sentais aussi vraiment impuissante. Je faisais face à une institution, la Fédération, qui avait la main mise sur la suite de ma carrière. Je ne pouvais donc pas m’y adresser sincèrement. Depuis, j’ai vu une psychologue avec qui je suis revenue sur tous ces épisodes, et elle m’a aidé à comprendre que je trainais cette anxiété à cause de ma carrière depuis un an. J’avais fait des torticolis, des lumbagos, ça aurait dû alerter tout le monde sur mon état de mal être, moi la première. C’est déjà compliqué de s’affirmer et de savoir ce que tu veux quand tu vas mal, mais quand tu dois en plus défendre les choix que tu fais face à des personnes qui t’enfoncent, tu n’as pas d’autre choix que de plonger. Quand j’ai pété les plombs, je faisais des crises d’angoisse à l’idée d’être dans un magasin de sport. J’ai une licence STAPS donc j’ai du recul sur la manière dont on prépare un athlète. Lorsque j’ai listé les faits avec la psy, on s’est bien rendu compte que l’entraineur n’avait pas fait son job, il devait décoder les anomalies que je lui présentais. Je n’étais pas capable de m’analyser, il y avait du monde autour de moi et personne ne l’a vu.
Vous avez été membre de l’équipe olympique du Pays de Calais, quels bénéfices avez-vous pu en tirer ?
Lorsque je suis passée athlète olympique, tout s’est rapidement décanté. Dès que je suis rentrée du championnat du monde, beaucoup de partenaires se sont bousculés. Ça m’a apporté un cadre sympathique, j’ai pu me confronter à de nouveaux environnement. J’avais un contrat d’image avec la ville d’Harras, j’étais aussi membre de l’équipe olympique de la région. Ils me donnaient 5000 euros par an, principalement pour les équipements. Ils proposaient des rencontres athlètes-entreprises et nous aidaient par le biais d’échanges avec des acteurs du monde pro. La politique de la région est sérieusement axée sur le sport ce qui est vraiment sympa pour les sportifs. Même si nous avions des moments de transitions, ils pouvaient nous accompagner. Il y avait une vraie relation sur le long terme. Avec le département, nous avions également un projet sympa. Un partenariat avec des collèges a été mis en place, plusieurs fois dans l’année, ils organisaient des ateliers de groupes autour de la thématique du parcours professionnel et sportif.
Comment vous sentez-vous aujourd’hui ?
Depuis plus d’un an, je prends le temps, je suis plus apaisée. Au début, j’ai eu une phase de colère profonde, je savais que je n’étais pas la seule sportive à qui ça arrivait, je voulais en parler haut et fort en montant au front. Cela m’est un peu passé mais je trouve toujours cela très important de communiquer sur la notion de bien être chez les sportifs, que ça soit pour eux, en premier mais aussi pour les entraineurs. Ce sont les premiers concernés s’ils veulent protéger leurs athlètes. J’en était même rendu à laisser le téléphone sonner quand les coachs ou le président de mon club cherchaient à me joindre. Puis un jour j’ai passé le pas, ils étaient gentils, ils ont cherché à prendre des nouvelles. C’était plus de la maladresse, les entraineurs devraient être plus formés sur les dégâts psychologiques que peut faire la recherche permanente de performance.
A ce jour, la céiste française ne compte pas reprendre le sport de haut niveau. Elle prend plaisir à recommencer peu à peu les loisirs sportifs mais le blocage est réel. Le sujet reste très sensible, la veille de notre interview, Julie nous confie avoir cauchemardé à la suite d’une proposition d’une amie pour participer à un bike and run. D’après son médecin, ses réactions sont le symptôme d’un syndrome post traumatique.
Professionnellement je veux rajouter une corde à mon arc. J’ai une formation d’animatrice et d’éducatrice sportive mais je souhaite me pencher vers la diététique. J’ai commencé un BTS l’année dernière, mais j’ai laissé tomber car j’étais trop mal dans ma tête, alors à la rentrée je veux m’y remettre sérieusement. J’aimerais aussi trouver un emploi étudiant pour avoir une source de revenu. J’ai toujours l’envie de gagner, mais pour l’instant, je préféré ramer en mode incognito loin de tout.
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En 2019, vous vous êtes engagée dans l’association Futur Sport, pouvez vous nous parler du projet ?
C’est une association à visée humaine qui voulait grandir, c’est cet aspect qui m’a principalement intéressée. Le président m’a placé au centre de mon projet et au cœur de l’organisation de la fédé. Leurs combats qu’ils mènent sont ceux qui sont oubliés par les autres instances. Ils assurent un suivi aux sportifs, et leur apporte un cadre sécure certain (aides, recherches logement, scolairement, partenaires … ). Le sport féminin est aussi une cause qui leur tient beaucoup à cœur. J’aimerai continuer à avancer avec eux, je suis ouverte à toute discussion.
Photo à la Une : (@ASLSaintLaurentBlangy)
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