À peine quatre mois après son accouchement, Cléôpatre Darleux vient de retrouver la compétition avec le Brest Bretagne Handball. L’occasion de nous pencher sur une question encore trop peu abordée en France : vivre l’expérience de la maternité au cours d’une carrière de sportive de haut niveau.
En ce dimanche 8 mars 2020, placé sous le signe de la journée internationale des droits des femmes, Le Sport au Féminin s’est penché sur cette question. Comment concilier maternité et carrière de sportive de haut niveau ? Explications avec l’aide de la gynécologue du sport, Dr. Carole Maître et les témoignages exclusifs de la footballeuse internationale, Corine Petit et de la biathlète Marie Dorin-Habert.
Les bienfaits d’une grossesse pendant une carrière
Si d’un premier abord, l’on pourrait penser qu’une grossesse représente surtout une longue interruption de carrière, elle offre en réalité d’importants bienfaits à la sportive de haut niveau. Que ce soit d’un point de vue mental ou physique, les avantages sont nombreux et permettent souvent à l’athlète de revenir encore plus forte, comme l’explique le Dr. Carole Maître, gynécologue du sport à l’INSEP : « C’est un challenge personnel, qui remet la sportive en tant que femme dans son parcours de vie. Cela lui permet de prendre un peu plus de recul, de mieux gérer les périodes précompétitives et les périodes de stress. C’est une réassurance également. Surtout quand la grossesse s’inscrit dans un période de blessure ou dans une période de performances un peu moindre. Ça permet de rebondir. »
Et c’est exactement ce qu’a vécu l’ancienne biathlète Marie Dorin-Habert. C’est au cours d’une longue blessure, après des années intensives d’entraînements et de compétitions, qu’elle se trouve être enceinte de son premier enfant. Un événement, qui au départ, lui a fait se poser de nombreuses questions, avant de de s’apercevoir de tous les bienfaits qu’elle pourrait en tirer : « L’année où j’étais enceinte, je me suis beaucoup moins entraînée. En tout cas, avec des charges musculaires moins importantes. Mon corps s’est énormément reposé et a acquis un capital santé. Avant ma grossesse, j’étais un peu sur le fil, je ne progressais plus trop. Et là, le fait d’avoir eu une grosse période de repos, sans stress, ça m’a permis de revenir plus forte ! » Et le fait est, qu’à son retour sur les pistes, Marie Dorin-Habert a signé les meilleures performances de sa carrière.
Serena Williams, Kim Clijsters, Mélina Robert-Michon, nombreux sont les exemples de réussite
Une période de repos sportif qui permet donc de travailler différemment et de s’offrir la possibilité de vivre des carrières plus longues. À cet égard, la gardienne de Manchester United, Siobhan Chamberlain, récemment devenue maman déclarait sur le site de son club, au début de sa grossesse : « Je vais mettre à profit les prochains mois pour travailler certains aspects de mon jeu, sur et en dehors des terrains. J’ai la sensation que j’ai encore plusieurs années devant moi, donc j’ai bien l’intention de revenir encore meilleure qu’avant. » Et les exemples de longévité victorieuses sont nombreux : Serena Williams (38 ans), Kim Clijsters (36 ans), Mélina Robert-Michon (40 ans), etc.
Comment revenir d’une grossesse rapidement et en forme : le cas Alex Morgan
Si le retour si rapide de Cléôpatre Darleux a pu surprendre, il y a un autre événement qui a fait le tour du monde récemment : des images de la footballeuse Alex Morgan, en train de s’entraîner au cours de son 6e mois de grossesse ! Si cela a pu en stupéfier certains, pour le Dr. Carole Maître, cela n’a pourtant rien d’étonnant. Au contraire même, c’est grâce à un entraînement suivi tout au long de la grossesse, que la possibilité de revenir vite et en forme est possible : « Pour certains sports comme les sports de ballon ou les sports collectifs, on va remplacer le travail en équipe par une préparation générale. C’est ce qui permettra de reprendre le sport de haut niveau sans souci majeur. Alex Morgan a pu taper dans le ballon à 6 mois de grossesse parce qu’elle connaît bien la technique. Mais, il est évident qu’il est hors de question de faire un match à 6 ou 7 mois de grossesse. »
Et alors que la footballeuse américaine a déclaré vouloir être de retour dès cet été, pour les Jeux Olympiques, soit trois mois après la date prévue de son accouchement, est-ce que cela semble envisageable pour le Dr. Carole Maître ? « Normalement, pour les sportives de haut niveau, on a un retour à un entraînement progressif deux mois après l’accouchement puis une reprise de la compétition vers le sixième mois. Mais cela peut être ajusté en fonction du mode d’accouchement, du poids pris pendant la grossesse et de s’il s’agit d’une première grossesse ou non. Alex Morgan pourra envisager une date de reprise précoce si elle a pu maintenir une bonne préparation physique générale pendant toute sa grossesse, comme c’est visiblement le cas. C’est pour cela que je conçois que ce soit possible pour elle de reprendre pour les Jeux Olympiques. Mais, attention, ce n’est pas vrai pour toutes les sportives et cela dépend aussi du sport pratiqué. »
Et le risque de fausse couche ?
S’entraîner jusqu’au quasi terme de sa grossesse serait donc la clé d’un retour rapide à la compétition. Mais n’est-ce pas dangereux pour le fœtus et cela n’accroît-il pas le risque de fausse couche ? Pour le Dr. Carole Maître, la réponse est claire : « Non ! C’est une idée reçue. A partir du moment où l’activité physique est adaptée et évolue au fil des trimestres de la grossesse, il n’y a pas de risque accru. Par exemple, au premier trimestre, on va rester en dessous de 17h d’entraînement et mélanger du sport vigoureux et du sport modéré. C’est tout ce plein d’entraînement, avec l’aval du professionnel de santé bien sûr, qui permettra à la sportive de vivre sa grossesse en toute sérénité. Mais évidemment, il faut respecter quelques règles. » La gynécologue de l’INSEP tient par ailleurs à déjouer une autre idée reçue : « L’accouchement n’est pas plus difficile chez la sportive de haut niveau. »
Des moments de carrière plus propices à la maternité ?
Si le choix de vivre une grossesse en cours de carrière est un choix très personnel, il semble cependant que certaines périodes soient plus plébiscitées par les sportives. Notamment après une compétition majeure ayant généré une période d’entraînements très dense (Jeux Olympiques, Coupe du Monde, etc.). D’ailleurs, la capitaine de l’Équipe de France de football, Amandine Henry révélait il y a quelques mois qu’en cas de victoire à la Coupe du Monde, elle aurait probablement fait une pause dans sa carrière pour vivre une grossesse. Des faits corroborés par le Dr. Carole Maître : « On peut être sportive de haut niveau et avoir parfois besoin de cette pause, de ce challenge. Par exemple, après les Jeux Olympiques de Rio où il y a eu 13 médaillées chez les filles, il y en a eu 8 qui ont connu une grossesse l’année suivante. La grossesse n’arrive pas toujours après une médaille mais souvent. »
Réussir à concilier carrière et maternité
Si d’un point de vue physique et hormonal, vivre une grossesse en cours de carrière semble donc idéal, il est tout de même un dernier point à prendre en compte : l’aspect psychologique. Car reprendre le chemin de la compétition, cela signifie aussi être loin du domicile et de son nouveau-né. C’est pour cela que le Dr. Carole Maître prévient : « Une grossesse en cours de carrière n’est possible qu’avec un environnement sportif et familial très présent, très compréhensif. Parce qu’il y a des stages et des compétitions loin du domicile. Et ce n’est pas toujours facile de laisser son bébé à la maison, surtout pendant les quatre premiers mois. C’est un choix qui doit être réfléchi pour éviter une culpabilisation de la jeune maman. »
Cela est d’autant plus vrai pour les sports collectifs, où il est difficile d’emmener son bébé en déplacement avec l’équipe. C’est d’ailleurs peut-être la raison qui pousse les footballeuses à attendre la fin de leur carrière pour devenir mamans. Comme ce fût le cas récemment pour Lotta Schelin, Jessica Houara d’Hommeaux ou encore Corine Petit. Cette dernière nous explique d’ailleurs : « C’est vrai qu’en France, dans le football, faire une pause dans sa carrière pour avoir un enfant et reprendre ensuite n’est pas du tout répandu et je ne sais même pas comment cela serait accepté. Personnellement, j’ai attendu la fin de ma carrière pour avoir un enfant (…) mais je trouve ça génial d’avoir un enfant durant sa carrière, de reprendre et de pouvoir tout concilier. »
Photo à la Une : (@DR)
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