À seulement 14 ans, Nadia Comaneci a atteint la perfection à l’état pur, décrochant la note parfaite de 10, encore jamais atteinte sur la scène olympique, à sept reprises. Retour sur l’histoire invraisemblable de cette gymnaste roumaine, devenue star mondiale et légende du sport entre guerre froide et conflits internes.
Son talent est indéniable, ses victoires et ses médailles méritées et pourtant, de nombreuses questions s’élèvent sur les performances de Nadia Comaneci. En pleine guerre froide, bien que les accords d’Helsinki aient amorcé une pacification des relations entre Washington et Moscou, le 10 parfait qu’a obtenu la jeune adolescente est bien plus qu’un exploit sportif. Il est également la victoire du communisme sur le capitalisme, ainsi que la victoire du régime roumain sur les soviétiques. Véritable phénomène médiatique, cette gymnaste a été au coeur des conflits géopolitiques durant toute sa jeunesse, passant d’objet de propagande au culte du corps enfantin, le tout orchestré par des entraînements forcés.
Des débuts on ne peut plus glorieux
Née le 12 novembre 1961 à Onesti, en Roumanie, Nadia Comaneci se destine très tôt à la gymnastique. Dès son entrée à l’école maternelle, elle intègre une équipe locale appelée Flame dont les entraîneurs sont Duncan et Munteanu. À partir de l’âge de sept ans, elle est alors entraînée par Bela Karolyi et sa femme, devenant l’une des premières élèves de cette école de gymnastique. Dès cette année 1969, elle participe à ses premiers championnats de Roumanie junior, terminant à la treizième place. L’année suivante, elle devient la plus jeune gymnaste à remporter ce même championnat national. Une victoire qui va lancer la machine Comaneci sur plusieurs années. Fruit d’un travail acharné (voire forcé, son couple d’entraîneurs ayant par la suite été accusé d’être à la tête d’entraînement extrêmement intensifs et violents), la jeune roumaine va alors, dès l’âge de dix ans, disputer sa première compétition internationale. Elle y remporte tous les titres et fait gagner la Roumanie, face notamment à la Yougoslavie. Un duel qui va durer au cours des années suivantes. Nadia Comaneci poursuit son bout de chemin idyllique, pavé d’or, de victoires et de performances que toutes lui envient. Que ce soit sur le plan national ou international, la native d’Onesti rafle tout.
Âgée de treize ans, elle passe senior et remporte alors son premier titre majeur lors des championnats d’Europe de gymnastique en 1975, en Norvège. Elle s’impose sur tous les agrès sauf le sol où elle termine à la deuxième place. Au cours d’autres concours, elle doit faire face à la concurrence, rude, de la Soviétique Nellie Kim, dont le talent se rapproche aisément de celui de Comaneci. Elle participe à l’American Cup à New York et décroche la note parfaite de 10 au saut à cheval et au sol, remportant ainsi le concours. Cette année 1975 est synonyme de perfection pour la jeune athlète qui va continuer de décrocher les 10 dans d’autres compétitions. Sa renommée grandissante s’étend désormais à l’international, comme le prouve son titre de Meilleure athlète de l’année 1975, attribué par l’United Press International.
Jeux Olympiques de Montréal, Comaneci réalise l’impossible
Juillet 1976. Alors qu’elle n’est encore qu’une jeune fille de quatorze ans, Nadia Comaneci va entrer encore un peu plus dans l’histoire de son sport et ainsi accroître sa renommée. Son enchaînement aux barres asymétriques lui offre la note maximale de 10. Une performance pas si extraordinaire en sachant qu’elle l’a déjà réalisé à 19 reprises au cours des derniers mois ? Et pourtant si puisqu’elle est devenue la première gymnaste à décrocher cette note aux Jeux Olympiques. À tel point que le panneau électronique « Swiss Timing » n’est absolument pas paramétré pour afficher la note 10. Nadia Comaneci va même aller jusqu’à l’obtenir à sept reprises lors de cette édition olympique. À chaque fois, le panneau affiche 1.00 au lieu de 10.0.
Au final, la jeune roumaine termine avec la médaille d’or au concours général, aux barres asymétriques et à la poutre, la médaille d’argent au classement par équipes et la médaille de bronze au sol. Nadia Comaneci monte sur cinq des six podiums possibles, devenant la première roumaine à réaliser de tels exploits. De quoi devenir un véritable phénomène médiatique dont vont se servir les journaux américains. L’intérêt qu’ils ont à affirmer qu’une gymnaste de l’Est incarne la perfection peut paraître flou et pourtant, la Roumaine venait de défier l’empire soviétique dont l’invincibilité revendiquée venait de se fragiliser.
Figure de propagande en pleine guerre froide
Utiliser le terme d’« objet » de propagande paraissant des plus inappropriés pour décrire la jeunesse de Nadia Comaneci, celui de « figure » correspond mieux. 1976. Le monde est en pleine guerre froide malgré les accords d’Helsinki signés le 1er août 1975. Ces derniers ont lancé les prémices d’une pacification entre les États-Unis et l’URSS. Les victoires décrochées par la jeune athlète sont rapidement utilisées par tout un chacun, dans le but de clamer haut et fort leur supériorité. Selon le bloc de l’Est, ces performances ne sont que le triomphe du communisme sur le capitalisme. Selon les Roumains, le triomphe appartient à Nicolae Ceausescu qui surpasse ainsi l’empire soviétique. Les États-Unis aussi, s’en servent, de par leurs médias, pour affirmer que l’URSS n’est pas invincible.
L’URSS ne prend alors que le retour du bâton qu’ils ont lancé quelques années plus tôt. Insistante auprès de la Fédération internationale de gymnastique, l’Union était parvenue à faire reconnaître les figures acrobatiques au sein d’une gymnastique vieillotte. L’enjeu était de tout simplement rapporter un maximum de médailles pour prouver au monde entier la supériorité du communisme et de l’URSS sur leurs opposants. Nadia Comaneci est venue déjouer ce plan et le régime politique roumain l’a bien compris. À son retour au pays, elle se voit décerner le titre de Héros du travail socialiste, symbole du règne de Nicolae Ceausescu. Quoi de mieux qu’une fillette attendrissante aux talents indéniables et à la réussite affolante pour représenter (voire camoufler) le culte de la personnalité de l’Homme d’État roumain.
La dictature du corps
Bien au delà des conflits géopolitiques au coeur desquels elle s’est retrouvée, Nadia Comaneci fait également face à une dictature d’une beauté tout relative. L’URSS ayant fait disparaître une gymnastique basée uniquement sur la grâce, de plus en plus de jeunes filles en viennent à prendre des risques inconsidérés pour performer. Pour cela, elles doivent se restreindre et subir. Car oui, les triomphes de la jeune roumaine n’ont pas été atteints sans sacrifices. Entraînements forcés et régimes drastiques, la jeune fille ne s’en ait jamais plaint, au contraire, mais ce que lui imposent ses entraîneurs ne lui accorde pas une sécurité maximale et une capacité à grandir et à se développer correctement. À quoi bon dénoncer cela quand la petite star fait vendre, de par le spectacle qu’elle propose au monde entier lors des compétitions auxquelles elle participe. La petite fille modèle, dont tous les parents rêvent, sans jamais se rendre compte de son sourire forcé sur les podiums et de sa maigreur affolante. À l’époque, cette masculinité que certains se plaisent encore à décrire comme une féminité gracieuse est banale et cela passe au second plan après la performance artistique.
Celle qui est un temps caractérisé de « mince poupée » puis d’« enfant prodige » n’est plus maître de son corps. Elle est alors la simple marionnette dont les ficelles sont tenues par l’idéologie de son pays et dont les performances sportives, nécessaires à la supériorité de l’État roumain, surpassent son bien-être qui n’intéresse pas grand monde. Nul ne sait vraiment ce qui lui a été imposé au fil de sa jeune carrière, de son idylle forcée avec le fils du dictateur roumain à son rôle dans les manifestations de propagande du régime.
Réussir à tout prix
Après ses fameux Jeux Olympiques de 1976 qui l’ont rendu célèbre, Nadia Comaneci connaît quelques années de gloire, sans pour autant être aussi spectaculaire. S’étant fixée une norme des plus élevées, ses performances ne lui suffisent pas et ce, malgré les victoires et les médailles qu’elle accumule. En 1977, elle conserve son titre de championne d’Europe au concours général mais Ceausescu ordonne aux gymnastes de revenir au pays avant la fin de la compétition en raison de controverses sur les notes. Après quoi la Fédération roumaine de gymnastique prend la décision selon laquelle la jeune athlète doit se séparer de ses entraîneurs. Un changement qui affaiblit Comaneci, qui doit également supporter le divorce de ses parents. Stress et mal-être la pousse à arriver hors de forme aux championnats du monde de 1978. Elle remporte malgré tout la poutre pour ce qui est son unique titre individuel de sa carrière aux championnats du monde, mais chute aux barres asymétriques.
Autorisée à retourner s’entraîner auprès des Karolyi, elle gagne son troisième titre consécutif au concours général aux championnats d’Europe en 1979. Une performance encore jamais réalisée, que ce soit chez les femmes ou chez les hommes. Malgré une intoxication alimentaire, elle prend part aux championnats du monde la même année et permet à son équipe de remporter l’or à nouveau. En 1980, la star roumaine participe à ses deuxièmes Jeux olympiques, qui sont également ses derniers car elle décide de prendre sa retraite sportive l’année suivante, à même pas vingt ans.
Une retraite surveillée mais finalement loin des conflits
À partir de cette année-là, chaque action de Nadia Comaneci est scrutée et analysée. Coutumière des exhibitions aux quatre coins du globe, elle essaie, à l’instar de ses entraîneurs, de fuir son pays direction les États-Unis. Mais elle est tellement surveillée que rien n’y fait. Surveillée pour quelles raisons ? Tout simplement car sa popularité, ainsi que celle de ses entraîneurs, fait de l’ombre au couple Ceausescu et que leur volonté d’indépendance et d’émancipation leur fait peur. Après d’autres visites à l’étranger, elle est interdite de sortie du territoire. Il faut attendre 1989, quelques semaines avant la révolution, pour qu’elle parvienne à fuir la Roumanie. Elle passe clandestinement la frontière hongroise, à pied, arrive en Autriche, puis rallie les États-Unis. S’installant à Montréal, la ville de ses plus grands succès, elle vit, de loin, la Révolution roumaine de 1989. Ce coup d’État, sous la forme d’une série d’émeutes et de protestations a finalement abouti au renversement du dictateur Ceausescu et de son épouse, tout deux fusillés.Le régime communiste se transforme alors en démocratie parlementaire, bien que des pro-communistes y vivent encore aujourd’hui. Nadia Comaneci s’installe finalement dans l’Oklahoma avec Bart Conner, un gymnaste américain qu’elle a rencontré aux JO de 1976. Ils se fiancent une vingtaine d’années après leur toute première rencontre et se marient en 1996, à Bucarest. Nadia Comaneci va être naturalisée américaine et donc obtenir la double nationalité. Depuis, elle a donné naissance à son premier enfant et s’investit dans le monde du sport et de la gymnastique, dans son pays mais aussi à l’international.
Avec du recul, elle a confié à Le Monde qu’elle n’avait jamais imaginé un seul instant que sa performance à Montréal resterait gravé dans les esprits de la sorte : « J’étais une enfant, à l’époque, je n’ai absolument pas pris conscience de la portée de ce que j’avais fait ». Elle assure également ne pas s’être sentie instrumentalisée par le régime en place à cette époque : « Je n’ai jamais considéré qu’on m’avait utilisée comme un outil de propagande, je n’étais qu’une enfant. […] La seule chose que je n’ai pas appréciée, c’est quand on m’a interdit de sortir du pays. » Elle conclue, affirmant qu’elle n’a aucun regret sur la jeunesse et la vie qu’elle a vécu. Chacun en tirera ce qu’il souhaite en tirer. Certaines questions resteront à jamais sans réponses mais une chose est certaine, la « petite fée de Montréal » brillera à jamais dans l’histoire de son sport comme étant la première gymnaste à avoir décrocher un 10 parfait dans une compétition olympique. Les règlement ayant changés, elle restera à tout jamais la plus jeune à avoir remporter le titre au classement général des JO.
Photo à la Une : (©IOC)