La réalisatrice du documentaire Luchadoras, récompensé lors des derniers Sportel Awards, est revenue pour Le Sport au Féminin sur la misogynie qui règne au Mexique. Une interview poignante avec une femme engagée.
Paola, qu’avez-vous ressentie au moment d’aller chercher votre prix ?
Je suis évidemment très honorée. C’est une reconnaissance très importante pour notre travail et de notre philosophie. Encore une fois, un grand merci à Peace and Sport et à Sportel de nous avoir choisis. J’ai été ravie du gala et de réaliser qu’ils appuient des images documentaires de grande qualité, très cinématographiques. Au même moment, alors que je descendais les escaliers pour recevoir mon prix, j’ai réalisé que j’étais la première réalisatrice à être nominée et à recevoir un prix de toute la soirée. Cela m’a rendu extrêmement triste. Lors de la cérémonie, j’ai fait remarquer qu’il est de la responsabilité de chacun de changer ces structures de domination.
Le système donne aux femmes beaucoup moins d’options que les hommes pour qu’elles puissent se développer
On dit que le problème, c’est qu’il n’y a pas de réalisatrices qui font des films. Je voudrais que nous analysions tous ensemble pourquoi c’est le cas : quelle est la raison pour laquelle j’ai reçu un prix aujourd’hui ? Parce que j’ai consacré deux ans de ma vie exclusivement à faire un documentaire. Si j’avais eu des enfants, je n’aurais par exemple pas pu réaliser ce projet durant cette période. Alors, réfléchissons à ce qui se passerait si une femme qui a des enfants veut commencer ou continuer sa carrière professionnelle. Elle a d’abord besoin d’un partenaire qui la soutienne. Un partenaire qui dise : Je mets de côté, au moins en partie, ma carrière professionnelle, je me consacre à ma vie de famille.
Et ensuite ?
Si la femme trouve un emploi, le salaire qu’elle percevra ne sera pas le même que celui de son partenaire, qui est sur le marché du travail depuis plus longtemps qu’elle. Si une famille doit choisir entre gagner plus pour pouvoir offrir plus à la famille, combien de familles sont celles qui décident d’avoir moins de ressources économiques pour que la femme puisse s’épanouir ?
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Le système donne aux femmes beaucoup moins d’options que les hommes pour qu’elles puissent se développer. C’est la raison pour laquelle il n’y avait pas de femmes cinéastes à la cérémonie d’aujourd’hui. Changer le système est entre nos mains. Cela commence dans la sphère privée, dans les relations intimes. Et cela va jusqu’au système judiciaire. Nous devons être conscients des structures dans lesquelles nous vivons pour les changer.
Comment avez-vous eu l’idée de faire ce documentaire et pourquoi ?
C’est dévastateur de savoir qu’il existe un endroit connu dans le monde entier comme le lieu du féminicide. C’est ce que vous entendez sur Ciudad Juarez et, plus généralement, ce que vous entendez sur le Mexique. Nous voulions comprendre comment les femmes vivent au quotidien à Ciudad Juárez. Ce que nous avons découvert était plus grand, plus brillant et beaucoup plus puissant que ce qu’aucun article de presse n’avait jamais réussi à révéler sur l’endroit.
C’est dévastateur de savoir qu’il existe un endroit connu dans le monde entier comme le lieu du féminicide
Juárez est également l’une des principales plaques tournantes du style de lutte mexicain appelé « Lucha Libre » (souvent féminin) où les combattants se battent dans un ring. Combiné avec le nouveau mouvement féministe qui est devenu plus influent en 2019/2020, nous pensons que ce qui se passe là-bas fait partie d’une plus grande quête mondiale d’égalité, à laquelle nous nous sentons profondément connectés.
Avez-vous l’impression que les mentalités changent ou qu’elles sont sur le point de changer à travers ce type de mise en lumière ?
Oui, je crois que le changement est possible. En fait, les jeunes générations sont beaucoup plus conscientes des structures de domination et des inégalités, même si ce n’est pas le cas partout dans le monde. La misogynie est l’une des épidémies les plus répandues et les plus ancrées dans les mentalités des gens depuis des siècles. Il faut beaucoup de temps, beaucoup de patience et beaucoup de lutte pour amener le changement. Mais nous y arriverons.
Quelle place occupe la lutte à Ciudad Juarez et au Mexique ?
Au Mexique, chaque jour, trois femmes sont tuées, simplement parce qu’elles sont des femmes. En écrivant ces mots, des femmes sont tuées. Sommes-nous aveugles ? Pourquoi ne voulons-nous pas le voir ? Mais en Europe, ce n’est pas mieux. L’Allemagne est le pays où le taux de féminicide est le plus élevé en Europe. Encore plus que l’Espagne et la France. Le problème n’est pas seulement de l’autre côté de la mer. Le problème est vraiment partout. Et cela continuera tant que nous croyons que les hommes sont supérieurs aux femmes.