Tifany Huot Marchand n’aura connu qu’un seul sport dans sa vie : le short-track ou, en d’autres termes, le patinage de vitesse sur piste courte. Une discipline qu’elle n’arrêterait pour rien au monde, pour laquelle elle aimerait une médiatisation plus développée. La Tricolore s’est longuement confiée pour notre média. Entretien.
Comment vous êtes-vous lancée dans ce sport et à quel âge ?
J’ai commencé à l’âge de neuf ans, à Belfort. C’est une histoire assez dingue, que je raconte souvent. Je viens d’un tout petit village du Doux, en Franche-Comté, où il n’y a même pas cent habitants. Et il se trouve que ma voisine faisait du short-track à Chamonix quand elle était plus jeune. Elle a découvert qu’il y avait un club à Belfort, ce qui n’est pas commun en France et elle a décidé d’y emmener ses enfants. Elle nous a proposé, à ma sœur jumelle et à moi, de les accompagner. On n’était jamais rentré dans une patinoire, on n’était jamais monté sur la glace. Ce jour-là, on a mis nos patins et ça nous a tout de suite plu. C’étaient des sensations nouvelles, de glisse et de vitesse et c’est comme ça qu’on s’est inscrit à ce club. Sauf que Belfort se trouve à une heure de route de chez mes parents donc ils ont fait les allers-retours pendant très longtemps, deux ou trois fois par semaine.
C’est le premier et le dernier sport en club que j’ai fait. Je faisais du sport à l’école mais c’est tout. J’ai tout de suite été à l’aise, je me sentais bien mais je ne me débrouillais pas si bien que ça (rires). Mais il y avait une très bonne ambiance, une très bonne dynamique. On était nombreux, on avait beaucoup de copains et de copines de notre âge avec qui on faisait la course. Quand on est gamin et gamine, c’est ce qui est le plus amusant.
Comment définiriez-vous le short-track ?
Le short-track, c’est un sport à concurrence directe. Les qualités requises vont être extrêmement différentes selon les athlètes car il y a plusieurs distances : 500 mètres pour les sprinters, 1000 mètres pour les intermédiaires et 1500 mètres pour les plus endurants. Ça reste relativement court car, pour les filles, les 1000 mètres se font en 2 minutes et 30 secondes en moyenne. C’est un effort qui est court et intense. En plus de cela, il y a les relais mixtes, masculins et féminins. On a besoin d’énormément de technique. Sans cela et même si on a toute la force et l’expansivité du monde, on n’avance pas. C’est très précis, il faut beaucoup de lucidité. Être concentré mais être aussi très relâché : c’est le secret. Ça se joue aussi au mental dans les fins de course, quand c’est difficile, il faut être très fort physiquement.
Les chutes ne sont pas rares. Il faut savoir que les meilleurs patineurs au monde chutent beaucoup moins car, à partir du moment où la technique et la concentration sont au rendez-vous, il y a très peu de chances de tomber. Notre matériel joue beaucoup aussi. Les réglages au niveau des lames notamment sont extrêmement précis donc au moindre problème, ça peut mener à la chute. Il y a aussi des faits de course impossibles à prévoir donc ça reste un sport spectaculaire. C’est aussi pour ça que les gens aiment ce sport. À la sortie du virage, on atteint notre pic de vitesse qui se situe entre 45 et 50 kilomètres/heures. Après, tout dépend ce qu’on peut entendre par dangereux mais quand on tombe en groupe, il y a des risques de blessures.
Vous n’êtes pas considérée comme une sportive professionnelle ?
Je ne suis pas professionnelle. Le short-track est un sport très confidentiel en France, d’autant plus que c’est un sport qui est très peu médiatisé, qui passe à la télé une fois tous les quatre ans. Nous sommes des sportifs amateurs. On passe énormément de temps à s’entraîner mais nous ne sommes pas rémunérés. On n’a pas de sponsor pour nous financer donc c’est vraiment compliqué à ce niveau-là. J’ai la chance d’être aidée par la ville de Belfort qui me soutient mais sinon, non, je n’ai pas de rémunération. C’est frustrant. Je voudrais juste que ma discipline soit reconnue, plus que d’être rémunérée même si c’est évident que ce serait plus simple au quotidien et que nos objectifs seraient plus simples à atteindre. En France, c’est la même situation pour les femmes et pour les hommes. Personne n’est rémunéré. Dans beaucoup de pays, les short-trackeurs et les short-trackeuses sont rémunérés La France est l’un des seuls pays où ce n’est pas le cas.
Vous avez donc continué vos études en parallèle ?
Je suis rentrée en Pôle France en 2010, à l’âge de 16 ans. J’ai fait mes années de lycée jusqu’à obtenir mon baccalauréat. Je suis rentrée en STAPS pour continuer mes études. Je préparais les Jeux Olympiques en même temps donc j’ai pris mon temps. J’ai mis deux ans pour valider une année. J’ai obtenu ma licence en éducation et motricité cette année. Je vais encore poursuivre mes études car j’ai été acceptée en Master métier de l’enseignement, de l’éducation et de la formation afin de pouvoir passer le concours pour devenir professeure des écoles. Donc je fais du sport et des études à côté, à distance, grâce à un dispositif grenoblois qui me permet de ne pas aller en cours et de tout condenser au cours de notre saison « off », à la fin de notre saison sportive. Je sais très bien que vivre de mon sport est compliqué. C’est difficile de s’assumer en tant que sportive, qui fait ses études à côté, qui prépare les Jeux etc. On se pose des milliers de questions en cas de blessures par exemple.
Pourquoi le short-track est-il aussi peu médiatisé selon vous ?
J’ai déjà réfléchi à cela et je ne comprends pas pourquoi les médias ne se tournent pas vers nous. Le short-track, durant les Jeux Olympiques d’hiver, c’est la discipline où les places sont vendues le plus rapidement. La patinoire est complète plusieurs mois à l’avance. Les gens se ruent pour aller voir ce sport. Ça a un impact sur le public mais, à part cette compétition, on n’en entend pas parler. C’est peut-être parce qu’on a peu de résultats en France mais on a quand même une bonne équipe, on a fait pas mal de médailles récemment. Je ne comprend pas. Je suis devenue vice-championne d’Europe en 2019 et il n’y a eu qu’un petit article. C’est quand même une compétition de référence, avec énormément de monde et qui est très relevée. J’étais très fière, surtout que c’était ma première médaille et on n’en a pas entendu parler.
D’autant plus, chaque année, on a six coupes du monde (quatre lors d’une année olympique), un championnat d’Europe et un championnat du Monde. Donc il y a quand même de quoi faire. Par exemple, au Pays-Bas, c’est un sport qui est très connu, en Corée du Sud ou au Canada, c’est le sport national !
Pour revenir sur votre carrière, comment se sont passés vos débuts avec l’équipe de France ?
L’équipe de France a rapidement eu besoin de nouvelles filles car il y avait un changement de génération. Donc mon intégration s’est faite relativement tôt. J’étais encore avec l’équipe Juniors que je m’entraînais déjà avec l’équipe Seniors. Ça s’est très bien passé, on avait une bonne dynamique de groupe. J’ai eu de très bons souvenirs, depuis toujours. Il y a eu des années compliquées mais on ne peut pas toujours avoir un ciel bleu.
Les Jeux Olympiques, j’aimerais dire que je les regardais quand j’étais petite et que c’était un rêve. Mais moi je patinais juste pour le plaisir. Au fur et à mesure, j’ai compris que je pouvais viser plus haut. Quand j’ai intégré le Pôle France de Font-Romeu, je me suis dis que j’allais m’entraîner à fond et c’est là que j’ai commencé à rêver des JO. C’était un objectif ultime. C’était incroyable. On n’était que quatre athlètes à être sélectionné en France : Thibaut Fauconnet, Sébastien Lepape, Véronique Pierron et moi. C’était un privilège et une fierté. C’est impossible à décrire. C’est un souvenir inoubliable. Avec du recul, je sais que je vise les prochains Jeux, en 2022, pour mettre à profit ma première expérience et viser l’objectif ultime de revenir avec une médaille.
Il paraît que vous avez une anecdote marquante concernant vos premiers Jeux Olympiques ?
Avec la génération précédente, on ne s’ennuyait jamais quand on partait en compétition parce qu’ils étaient très drôle. On était très professionnels évidemment, on voulait gagner mais c’était une génération cool. Pour mes premiers Jeux Olympiques, en 2018, j’ai découvert qu’il y avait des bulles avec des gros photomatons. Tous les athlètes se prennent en photo et les collent sur un mur gigantesque qui rassemble toutes les disciplines. C’est magnifique. À la fin d’un repas, avec Thibaut Fauconnet et notre kiné Bruno, on décide d’aller faire une photo souvenir. Sauf qu’ils ne font jamais rien de soft donc ils voulaient mettre les moyens. Thibault s’est mis du scotch tout autour de la tête, comme un rugbyman. Il était tout compressé, ça me faisait rire. Bruno avait mis long truc sur son nez, la photo est très parlante (voir ci-dessous). Moi je n’avais rien, je n’avais pas d’inspiration. Ils sont partis chercher un feutre et ils m’ont dessiné des tâches de rousseurs, une barbe et une moustache. On a fait cette photo sauf qu’après, ils m’ont donné le stylo avec lequel ils m’avaient barbouillé. Je me suis rendue compte qu’ils avaient pris un stylo qui ne s’efface pas. Et le lendemain, on avait une journée média ! J’ai paniqué, j’ai frotté mais tout n’est pas parti. C’est l’anecdote qui me vient en premier quand j’évoque l’équipe de France.
Est-ce qu’il y a eu un avant et un après Jeux Olympiques pour vous ?
L’année qui a suivi les Jeux Olympiques, en 2019 donc, ça a été compliqué avec mon ancien entraîneur. Je suis tombée en dépression et j’ai commencé à me faire suivre par une psychologue, qui est aussi préparatrice mentale, parce que je ne voulais en aucun cas arrêter le short-track. Ça a été compliqué, je ne me suis pas sélectionnée en coupe du monde, ce qui n’était pas arrivé depuis 2015. À la suite de ça, j’ai réussi à revenir et à me sélectionner pour les championnats d’Europe. C’est là que je suis devenue vice-championne d’Europe et j’étais très fière des démarches que j’avais faites pour progresser sur moi-même. Ça a libéré quelque chose, comme un déclic et j’ai décidé de continuer ce suivi avec ma psychologue.
J’avais déjà remporté des médailles en Coupe du Monde en 2015, en relais. Mais j’ai surtout fait ma première finale aux championnats du monde, un mois après les Jeux Olympiques. L’année d’après, j’ai décroché ma première médaille individuelle aux championnats d’Europe, tout en grappillant des médailles avec le relais. Cette année, j’ai remporté ma première médaille individuelle en coupe du monde cette fois, au terme de ma meilleure manche en carrière. C’est aussi un très beau souvenir aussi.
Photo à la Une : (©DR)
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