L’été dernier, les Américaines devenaient championnes du monde, sans sembler faillir physiquement au fil du tournoi. Quelques jours après ce sacre, le staff de l’équipe révélait avoir conçu un programme d’entraînement basé sur les cycles menstruels de ses joueuses, tout au long de la préparation puis durant le mois de la compétition.
Depuis, en Angleterre également, la méthode a fait des émules. Et alors que Phil Neville vient d’annoncer qu’il la mettrait en place pour préparer les Lionesses à la prochaine SheBelieves Cup, nous vous proposons une explication des bénéfices d’un tel programme.
Gagner en performance grâce au suivi du cycle menstruel : comment ça marche ?
Le cycle menstruel est générateur de variations très importantes du taux d’hormones ; ayant un fort impact sur l’état général du corps. S’il est prouvé depuis longtemps que des phases de fatigue et de fringales sont plus susceptibles de survenir à certains moments du cycle, les recherches scientifiques visant à adapter son effort sportif en fonction de son cycle sont, quant à elles, récentes.
Pourtant, les premiers éléments de recherches ont permis d’établir un tableau très clair des périodes les plus adaptées à l’effort ou au contraire à la récupération. Ainsi Ida Tin, la fondatrice de Clue, qui travaille avec des scientifiques depuis le lancement de son application de suivi des cycles menstruels, nous indique : « Plusieurs études scientifiques tendent à démontrer que la meilleure période pour faire un travail de musculation se situe pendant la phase folliculaire (qui s’étend du premier jour des règles jusqu’à l’ovulation). Durant cette phase, on constate que la force musculaire est bien plus importante que lors de la phase lutéale (après l’ovulation) ».
Et en effet, durant la phase folliculaire, l’athlète ressent un véritable regain d’énergie qui lui permet de réaliser un entraînement beaucoup plus important. À l’inverse, en phase lutéale, il est plutôt recommandé de réaliser un travail autour de l’endurance, tout en ayant une attention particulière à la nutrition car c’est là que des fringales peuvent apparaître.
Un outil pour contrer les blessures : l’exemple de Chelsea
En plus de permettre aux athlètes d’obtenir un programme d’entraînement optimisé et personnalisé, le suivi du cycle menstruel présente un autre atout majeur : il limiterait les risques de blessures. C’est d’ailleurs entre autres pour cela que le monde du football se tourne vers ce type de programmes. En effet, il a été constaté que les footballeuses seraient plus susceptibles que les footballeurs de subir une rupture ligamentaire au cours de leur carrière. Et même si les recherches à ce sujet sont encore trop récentes pour affirmer qu’il y a un lien évident avec le cycle menstruel, le Dr. Kirsty Elliott-Sale, professeur en physiologie féminine à l’Université de Nottingham Trent, nous explique : « La recherche suggère que la phase d’ovulation est la plus propice à une rupture ligamentaire. L’importante augmentation d’œstrogène à ce moment du cycle accroît fortement la laxité des tissus. C’est ce qui nous a permis d’observer une plus grande proportion de ruptures des ligaments antérieurs à ce moment du cycle. »
C’est avec ces éléments en tête qu’Emma Hayes (manager de Chelsea Women) a souhaité accompagner ses joueuses avec un programme de suivi de leurs cycles menstruels. Il a été mis en place en août 2019 et le club a communiqué à son sujet début février afin d’en faire un premier bilan. C’est le Dr. Georgie Bruinvels (co-créatrice de l’application dédiée FitrWoman) qui suit le club et qui raconte au Telegraph : « Chaque joueuse dispose de l’application. Elle y intègre les données relatives à son cycle. Ces informations sont ensuite transmises au staff médical, qui peut adapter le programme d’entraînement de la joueuse, selon la phase où elle se situe ainsi que les symptômes qu’elle présente. C’est une approche individualisée ». Et le programme est bien sûr utilisé pour contrer les risques de blessures : « Si une joueuse a des prédispositions génétiques à une rupture ligamentaire, on ne lui fera pas faire d’exercices de changements de direction durant la première phase de son cycle menstruel. Elle pourra également se voir proposer un programme de prévention adapté, afin de diminuer les risques de se voir confrontée à ce type de blessure ».
Et cela fonctionne ! Car même si le Dr. Bruinvels ne veut pas affirmer que cela est forcément en lien, force est de constater que Chelsea est le seul club de WSL à n’avoir connu aucune rupture ligamentaire cette saison…
C’est d’ailleurs convaincu par ces résultats, que Phil Neville, le manager des Lionesses a également décidé de mettre en place un tel programme pour son équipe à l’occasion de la prochaine SheBelieves Cup. Pour cela, il s’est entouré de Dawn Scott, déjà en charge de la préparation physique des américaines durant la dernière Coupe du Monde.
Et en France ?
Si Chelsea est le premier club à officiellement utiliser cette méthode, Emma Hayes a indiqué son souhait de voir d’autres clubs l’adopter afin que cela devienne culturel partout dans le monde. Des propos corroborés par le Dr. Elliott-Sale : « Je pense que les clubs de football devraient tous suivre et analyser les cycles menstruels de leurs joueuses. Cela leur permettrait d’utiliser les informations récoltées de manière bénéfique pour établir des entraînements personnalisés, notamment pour les joueuses qui subissent de forts changements hormonaux. Car il est important de rappeler que toutes les athlètes ne sont pas affectées de la manière par ces changements ».
Alors verra-t-on prochainement des clubs français franchir le pas ? Difficile à dire… Début 2019, le réseau social des athlètes Strava, a mené une grande enquête mondiale sur les liens entre la pratique sportive et le cycle menstruel. Plus de 14 000 femmes ont ainsi fait part de leur expérience. Et parmi les résultats, un chiffre très révélateur sur la France : 80% des femmes françaises n’ont jamais été sensibilisées par leur médecin ou dans le cadre scolaire sur les effets de la pratique sportive sur les règles. Ce qui fait de la France le deuxième pays le moins informé sur l’ensemble des pays analysés…
Et pour cause, l’intégration de la science dans la pratique sportive n’est pas une chose ancrée dans les mentalités françaises. Diplômée en science du sport, la défenseuse de l’Olympique Lyonnais, Lucy Bronze déclarait d’ailleurs il y a quelques mois dans The Gentlewoman : « Les français ont une vraie culture foot, ils aiment le beau jeu mais ils ne sont pas encore passés à la science du sport ». Et d’ajouter dans le Journal du dimanche, en décembre dernier : « En Angleterre, la technologie est très présente. On fait parfois plus de science que de football. En France, c’est l’opposé : on joue au foot tous les jours et c’est génial, mais l’approche n’est pas très scientifique. La nourriture y est bonne, mais pas pour le sport ».
Si cette méthode n’a donc pour le moment pas encore été officiellement adoptée par un club français, cela pourrait cependant évoluer dans les mois à venir. En effet, si l’impact sur les blessures ligamentaires venaient à être prouvé, nul doute que l’Olympique Lyonnais, actuellement privé d’Ada Hegerberg et Manon Revelli, pourrait mettre en place un tel suivi.
Pour aller plus loin : un suivi qui n’est pas réservé qu’aux sportives professionnelles
Un tel suivi n’est pas seulement l’apanage des sportives de haut-niveau. Même pour une pratique en amateur, il peut être intéressant d’adapter son effort à son cycle menstruel. Pour celles qui souhaiteraient entamer un tel programme, deux applications :
STRAVA : Une application qui permet d’intégrer ses données sportives quotidiennes. Un partenariat avec FitrWoman (l’application utilisée notamment par Chelsea) permet d’obtenir un suivi de ses cycles ainsi que des conseils personnalisés quant à la gestion de son activité sportive.
CLUE : Si Clue ne délivre pas directement de conseils sur la pratique sportive, l’application présente cependant l’avantage d’être gratuite. En y intégrant au quotidien ses données, l’application sera rapidement en mesure de dresser un état des lieux sur la forme physique de l’utilisatrice en fonction de son cycle, grâce au machine learning. Elle pourra alors tout à fait faire sa propre analyse.
Photo à la Une : (@FIFA)
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