Pause sportive inédite imposée, c’est l’occasion de faire un zoom rétro sur ces sportives françaises qui ont marqué l’histoire. Ce lundi, cap sur le cyclisme sur piste. Une discipline méconnue, qui a pourtant compté dans ses rangs l’une des plus grandes sportives tricolores du 20ème siècle. Voici l’histoire de Felicia Ballanger, sprinteuse hors pair de l’équipe de France.
C’est sans doute l’athlète la moins célèbre, parmi les grandes championnes évoquées précédemment. Mais ce n’est pas la moins titrée. Pour tout amateur français de vélo, Félicia Ballanger représente énormément. Plus que quiconque, elle a su asseoir une hégémonie féroce pour ses rivales à la fin des années 1990. Une véritable machine de guerre, qui s’est construit un palmarès ébouriffant, le plus étoffé des vélodromes tricolores, faisant d’elle la deuxième femme française la plus titrée dans l’histoire olympique. Ballanger est un monstre sacré du sport, et a su se faire un nom à coups de pédales.
Des premières déceptions
« Quand je l’ai rencontrée, c’était une fille blessée par l’échec, aussi fragile mentalement qu’elle était forte physiquement ». Ces mots ont été prononcés par une autre légende des pistes cyclistes, devenu avec l’âge l’entraîneur attitré des sprinteurs tricolores. Daniel Morelon, triple champion olympique et octuple champion du monde dans les années 60, est l’élément essentiel qui a fait basculer la torpille Ballanger dans une autre dimension. Il faut dire que Felicia a su montrer des prouesses physiques dès l’enfance. Née en 1971 à La Roche-sur-Yon, dans une famille où le vélo est roi (sa mère l’a prénommé ainsi en souvenir du vainqueur du Tour de France 1965 Felice Gimondi, et a baptisé son frère Frédéric en référence à Federico Bahamontes), c’est tout naturellement vers le cyclisme qu’elle se porte, après quelques passes d’armes dans les gymnases de handball.
Dotée de cuisseaux phénoménaux et d’un tonus lui permettant d’atteindre une vitesse impressionnante, Ballanger, derrière sa musculature saillante (1,68m pour 70 kg) doit pourtant composer avec une stratégie de course trop tatillonne, selon Morelon, celui qui devient son mentor en 1990 : « Elle commettait des erreurs tactiques stupéfiantes, comme si elle ne se rendait compte de rien ». Pourtant, la Vendéenne a réussi à tout rafler dans les catégories jeunes, de son titre de championne de France cadettes 1986 au sacre mondial junior 1988, toujours en vitesse, qui devient sa discipline de prédilection.
Mais, arrivée chez les seniors, Ballanger n’arrive pas à imprimer la même domination, contrariée par une supériorité physique moins criante. Quatrième pour ses deux premiers Mondiaux en 1990 et 1991, elle rate encore le podium aux Jeux de Barcelone où elle termine une nouvelle fois au pied du podium lors de l’épreuve de vitesse. S’ensuivent plusieurs années de galère, orchestrées par une grave blessure à la clavicule et par une nouvelle défaite cuisante en 1994 lors des Mondiaux de Palerme, où elle s’incline en finale face à la Russe Enioukhina qui possédait pourtant des chronos nettement moins probants.
Bogota 1995, le déclic
C’est un fait, les premières années chez les pros ont laissé un désagréable goût d’amertume, pour celle qui voulait devenir au plus vite la plus grande sprinteuse de l’histoire. Mais Ballanger veut croire au destin. L’appel des sommets est trop alléchant et elle veut continuer à croire en son physique hors-normes pour briser les barrières de l’excellence pour devenir imbattable. L’athlète fait table rase. Elle engage même un psychologue, Gilbert Avanzini, pour lui permettre de briser cette frontière invisible qui sépare son esprit de jeune fille réservée et sa puissance de feu. Les mondiaux colombiens arrivent à point nommé. Avec une toute nouvelle discipline, réservée aux pures sprinteuses : le 500 mètres, pendant du Kilomètre masculin.
Motivée par cette double-chance de pouvoir briller, la Française, propulsée favorite suite à la méforme de la vétérante Estonienne Erika Salumaë, double championne olympique en titre de vitesse et référence absolue, va enfin saisir sa chance. Et va même réaliser un doublé triomphant, et donc inédit. Intouchable dans ses confrontations en vitesse , elle s’adjuge sans sourciller son deuxième maillot arc-en-ciel lors du 500 mètres. Un véritable coup de maître, porté fièrement par la délégation française, et un véritable tournant dans la carrière de la jeune femme. Passé la chaleur sud-américaine, on n’arrêtera plus Felicia Ballanger.
In-vin-cible
Le génie prend enfin forme. Arrivant enfin à doubler un instinct de tueuse à son incroyable vélocité, Ballanger ne laisse aucune miette à ses adversaires. Durant cinq années de pure folie, elle martyrise russes, néerlandaises ou australiennes et s’adjuge treize des treize compétitions majeures entre les Championnats du monde 1995 et les Jeux Olympiques de 2000 de Sydney. Avec toujours cette timidité aux apparences inoffensives, la Française écœure ses adversaires de par sa hargne fabuleuse. Course après course, cri après cri, Ballanger écrit l’histoire. C’est elle qui vole durant les Jeux 1996 sur le vélodrome de State Mountain Park d’Atlanta, pour empocher sa première couronne olympienne lors de l’épreuve de vitesse (le 500 mètres féminin n’apparaîtra que lors des Olympiades suivantes).
Ballanger poursuit avec 6 nouveaux titres lors des trois Mondiaux suivants, toujours dans ses deux disciplines phares. Mais l’apogée n’est pas encore atteinte. Pour cela, il faut attendre le nouveau millénaire, et les Jeux de Sydney, synonyme d’une fin de carrière en apothéose pour celle qui voulait absolument terminer au sommet. La marque des plus grands. Cerise sur le gâteau, ses prestations sur les pistes australiennes furent les plus exceptionnelles. Car c’est finalement là où Ballanger a été la plus poussée dans ses retranchements. La deuxième manche de sa finale de vitesse lui échappe, fait si rare pour celle habituée à remporter ses duels 2-0, et amorce un dernier assaut décisif pour l’Or face à sa jeune rivale Oksana Grichina. La Reine vacille, mais elle reste sur le trône. Au bout d’un sprint lancé à plus de 500 mètres, la Vendéenne conclut une course d’anthologie pour ce qui constitue sa toute dernière apparition. Un chef d’œuvre, couplé à une autre médaille d’or quelques jours plus tôt lors de l’épreuve du 500 mètres. C’est bien simple, selon les puristes, on n’a jamais retrouvé une telle prestation sur des pistes depuis. A 29 ans tout juste, Ballanger range les guidons sur le toit du monde.
Un palmarès à couper le souffle
Triple championne olympique , décuple championne du monde, quinze fois championne de France, auteure des sept premiers records du monde du 500 mètres féminin : en un peu plus d’une décennie, l’athlète s’est forgée l’un des plus beaux palmarès du sport français. Le tout saupoudré par une bienveillance inconditionnelle. « Au delà de mon palmarès, j’aimerais qu’on retienne de moi ma persévérance, mon travail et ma discrétion », avait-elle expliqué à la veille de ses derniers Jeux. Mais ce qu’on retiendra surtout de cette sprinteuse archi-complète, c’est son incroyable hégémonie, achevée par une apothéose parfaite. Peut-être considérée comme l’une des cyclistes les plus imbattables de l’histoire.
Photo à la Une : (@Olympic)