Cette jeune nageuse de l’extrême n’a pas froid au yeux. Elle avale les kilomètres, et ce, malgré des températures variant entre les 0 et 5°C. Un prochain objectif l’attend en septembre 2020 : la traversée de la Manche à la nage. Un défi hors norme et un sport atypique, sur lesquels Marion Joffle s’est confiée en exclusivité pour le Sport au Féminin.
Un début récent mais des résultats d’ores et déjà impressionnants : championne de France, vice-championne du monde, à tout juste vingt ans. Un palmarès bien étoffé pour Marion Joffle, qui s’est lancée dans les compétitions d’Ice Swimming – ou nage de l’extrême – en janvier 2018. Avide du dépassement de soi, elle ne compte pas s’arrêter là. Dans un peu plus d’un an, elle s’apprête à traverser la Manche à la nage. Plus de 35 km au compteur, pour celle qui s’était lancé le défi d’agrandir les distances. Mais, tout cela aurait pu ne pas voir le jour ! À l’âge de cinq ans, on lui découvre un sarcome épithélioïde, une maladie orpheline cancéreuse. Elle est opérée et amputée de son majeur droit. Loin de s’abattre sur son sort, elle s’épanouit dans la natation. D’abord la nage en eau libre, qui lui vaut un record à Lausanne, et puis la nage en eau glacée. Aujourd’hui, elle se prépare et s’entraîne à Caen, quatre heures par jour : deux le matin, et deux le soir. Rencontre avec cette nageuse déterminée, au mental d’acier.
Marion, comment faire face à de telles températures ?
Tout est une question de respiration. Il faut parvenir à libérer des hormones qui permettent d’augmenter la température corporelle. Ensuite, je rentre toujours en apnée pour ne pas avoir de choc respiratoire. Au début, on ressent quelques picotements, des petites douleurs qui restent “agréables”. Après, tout dépend de la longueur et de la durée des épreuves. Sur un 50 m, le corps n’a pas réellement le temps de se crisper. Mais, sur un 1 000 m, les membres se crispent rapidement. Il me faut environ 20 minutes pour récupérer mais lorsqu’on 1réussit, on se sent bien. Il y a cette joie et ce bonheur d’avoir tenu jusqu’à la fin. Et puis, le froid permet au corps de récupérer plus facilement d’une blessure.
Cette pratique n’est pas sans risque. Avez-vous déjà eu quelques frayeurs ?
Une fois, je ne m’attendais pas à avoir une eau à 2°C et à la fin de l’épreuve, ma vue a commencé à baisser et j’avais les mains bleues. Ça m’a permis de réagir et de mieux me préparer pour mes prochaines compétitions.
Expliquez-nous le côté stratégique en « ice swimming » ?
Il faut savoir comment on part sur un 1 000 m, et maîtriser la vitesse au départ. Si on part trop vite ou au contraire trop doucement, on n’arrive pas à finir. On nage aussi plus petit. Ce n’est pas la même amplitude que dans un bassin lambda. L’eau paraît plus dense que l’eau à température ambiante, donc on a plus de mal à glisser et à prendre nos appuis. Ensuite, le mental fait le reste.

En mars dernier, vous étiez présente à Mourmansk, en Russie. Comment se sont passés ces championnats du monde de nage en eaux glacées ?
C’était magique. J’ai remporté 3 médailles : l’or sur le 50 m, l’argent sur le 100 m brasse et le bronze sur le 50 m papillon. Sur le 1 000 m, j’ai fini quatrième. Je ne m’y attendais pas et j’ai même battu mon record personnel. J’ai pu aussi échanger avec les autres nageurs. Il y avait une très bonne ambiance, une grande euphorie car dans les pays nordiques, c’est une épreuve reconnue qui suscite beaucoup d’intérêt. C’était une très belle expérience et j’ai appris beaucoup de choses.
Justement, parlez-nous de la « popularité » de cette épreuve…
C’est une pratique très connue et médiatisée dans les pays nordiques. En France, la FFN – Fédération Française de Natation – commence à s’y intéresser. C’est un bon point. Malheureusement, cette épreuve n’est 2pas encore inscrite au Jeux Olympiques d’Hiver, mais j’espère qu’elle le sera bientôt !
À présent, vous vous consacrez entièrement à la traversée de la Manche à la nage ?
Fin 2019, je mettrai les compétitions de côté, pour me consacrer totalement à cette traversée. C’est un peu l’Everest de la natation, et je n’ai pas envie de m’éparpiller, au risque de rater ce projet qui me tient à coeur.
Vous ne nagez pas « seule » ?
Exactement. J’ai décidé de rallier cette traversée à mon combat pour la vie. Je vais nager pour les enfants malades, qui sont soignés à l’Institut Curie. C’est un moyen de donner de l’espoir. Personnellement, j’ai eu la chance de guérir et j’espère que ça peut leur apporter de la joie et leur montrer que tout est possible, malgré quelques obstacles. À la fin de la traversée, j’espère pouvoir leur verser un chèque symbolique. J’ai créé une association Hell’eau la vie !, et j’ai ouvert une cagnotte en ligne, l’an dernier, pour mener à bien ce projet. Tous les fonds qui dépasseront le budget prévisionnel, seront versés à l’Institut Curie.
Êtes-vous prête pour le grand départ ?
J’ai encore pas mal de petites choses à travailler, mais plus j’avance, plus je me sens prête. Il me reste encore plus d’un an. Je m’entraîne déjà pour, je fais beaucoup de kilomètres par semaine. Je nage 5 à 6 heures dans des eaux à moins de 15°C. La distance totale est de 35 km en ligne droite, mais en fonction des courants, ça peut monter jusqu’à 40 voire 45 km. J’espère aussi que le climat sera favorable le jour-J.
Retrouvez le lien de la cagnotte de Marion Joffle
Photo à la Une : (@MarionJoffle)