Mathilde Becerra a évolué en équipe de France d’escalade de difficulté pendant dix ans. Régulièrement dans le top 8 mondial, la double championne de France (Junior et Espoir) s’est également exprimée à l’international. À la suite d’un burn-out en 2018, Mathilde a mis fin à sa carrière en compétition. Pour autant, elle n’a pas raccroché ses chaussons. Mathilde Becerra s’est confiée au Sport au Féminin. Entretien.
Originaire de Toulouse, Mathilde Becerra a été diplômée de l’INSA Toulouse (école d’ingénieur) avant de se consacrer pleinement à sa carrière sportive. Grimpeuse depuis la tendre enfance, elle rejoint l’équipe de France d’escalade de difficulté et remporte plusieurs titres nationaux. Elle atteint, à deux reprises, la quatrième place en Coupe du monde.
À 27 ans, Mathilde signe la fin de sa carrière. Oppressée par la nécessité de performer, elle perdait de vue la raison pour laquelle elle grimpait et n’éprouvait plus aucun plaisir. Le sur-entraînement a eu des conséquences sur son corps l’obligeant à abandonner sa saison internationale. Depuis ce jour, Mathilde Becerra pratique en falaise, accompagnée de camarades de cordée. Engagée dans deux associations, la championne de 29 ans a changé de vie et d’état d’esprit.
Racontez-nous votre expérience en équipe de France…
Au départ je m’entraînais à Toulouse, puis j’ai déménagé dans les Alpes. Le changement était lié à mes études mais aussi à la concentration de grimpeurs au pôle d’entrainement.
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Pendant sept ans, j’ai eu le même coach. C’est notamment grâce à lui que j’ai réalisé mes plus belles performances. Nous privilégions la qualité à la quantité. On s’entrainait moins qu’en pôle mais nous ciblions bien les zones du corps à travailler. C’était un entraînement intelligent. De plus, nous avions une bonne relation, aujourd’hui il est un très bon ami. En arrivant au pôle France, je m’entrainais en groupe et avec un nouvel entraineur. J’aimais beaucoup travailler à plusieurs mais ça ne se passait pas très bien avec mon nouveau coach. Nous devions toujours nous entraîner au max comme si se reposer était tabou.
Rêviez-vous à l’époque d’aller jusqu’aux Jeux olympiques ?
C’est clair que les Jeux font toujours rêver, j’ai grandi en les regardant. Mais les conditions sont très particulières, les trois disciplines sont mélangées : la difficulté, le bloc et la vitesse. Pourtant elles sont très différentes. Auparavant, nous nous exercions dans une ou deux disciplines maximum. Il faut donc changer nos entrainements pour espérer faire les Jeux. Personnellement, je n’étais pas très enthousiaste à l’idée de devoir courir un marathon en étant habituée à m’entraîner au sprint. Je me suis dit « non, ça ne vaut pas le coup ».
Les pôles devraient-ils revoir leurs méthodes d’entraînement ?
Oui, je pense qu’elles sont un peu trop « old school ». C’est la loi du plus fort, la sélection naturelle où l’on épuise volontairement les athlètes afin de garder qu’une minorité. On mise sur eux et les autres on les jette. D’un point de vue humain, je ne comprends pas cette façon de faire. À force de privilégier la quantité à la qualité, ce n’est pas productif. Ces méthodes sont trop élitistes et disproportionnées par rapport à ce qui fonctionne vraiment.
Est-ce qu’il y a d’autres pays où les méthodes d’entrainements sont plus cohérentes?
Je n’en connais pas dans le détail , mais force est de constater que les Japonais sont aujourd’hui les leaders. Je pense qu’ils ont bien cerné la façon de travailler mais aussi de récupérer. L’aspect psychologique est abordé d’un angle très sain. Ils ont toujours l’air de s’amuser, d’être en groupe. Ils ne misent pas uniquement sur la force physique et se concentrent sur d’autres aspects faisant partie intégrante de la performance comme l’alimentation, la récupération, l’émulation de groupe.
Vous avez mis fin à votre carrière en compétition mais vous restez une grimpeuse professionnelle…
En effet, je grimpe en extérieur depuis deux ans. Avant j’étais obnubilée par la compétition, je ne pratiquais en falaise qu’en fin de la saison pour décompresser. Mais après mon burn-out, c’est cette façon de grimper qui m’a permis de renouer avec ma passion.
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En escaladant en extérieur, je me suis tournée vers la nature et vers mes amis de cordée. J’ai compris que ce qui me drivait ce n’était plus les performances. Désormais, je connais les pièges de mon mental. Je m’épanouis dans ma pratique lorsque j’y prends du plaisir. Différents sponsors m’accompagnent dans ma pratique comme The North Face, Arkose un réseau de salles en France. Je travaille également avec l’équipementier de chaussons d’escalade Escarpin, l’équipementier de baudriers, gaines et mousquetons, Wild Country. Enfin, le dernier a m’avoir rejoint est Honda. Ils me fournissent des véhicules neufs et hybrides me permettant de me déplacer tout en ayant un impact écologique moindre.
En parallèle vous avez monté votre propre association…
Tout à fait, Amassa Climb est basée à Toulouse en partenariat avec cinq salles de bloc. Notre objectif consiste à aider les personnes en difficultés financières, sociales et celles atteintes d’un handicap. Nous rendons accessible la pratique sportive afin de se sentir mieux et de retrouver des objectifs. Notre public est assez varié. Il comprend des réfugiés, des migrants, des demandeurs d’asile, des personnes ayant subit des violences, des enfants du secours populaire. Afin de promouvoir nos actions j’ai créé une chaîne Youtube mais cette année c ‘était assez difficile avec la crise sanitaire, nous avons annulé beaucoup d’événements. Nous essayons de rester actifs sur les réseaux sociaux. Nous pourrions nous agrandir un peu plus dans d’autres régions déjà intéressées. Mais avant cela, nous devons nous forger une expérience à Toulouse. Plus tard, si nous y parvenons, il faudra conserver les valeurs de base : solidarité, partage, inclusion.
Ce n’est pas votre unique engagement…
En effet, je suis ambassadrice du Collectif des Sportives. Cette association aide les athlètes de haut niveau dans leur carrière et retraite sportive. Je les ai rejoint après mon burn-out, lorsque de nombreuses portes se sont ouvertes. C’est une initiative à laquelle je suis sensible. La pratique féminine est moins valorisée, moins médiatisée. On ne réalise pas toujours les enjeux engendrés par le haut-niveau pour les femmes. Il y a un lien particulier à la féminité, le fait de se confronter aux hommes, d’être moins valorisées, de vouloir des enfants, etc. J’avais envie d’aider en partageant mon parcours et en mettant en garde sur cette recherche de performance sans cesse. Aider à trouver la raison pour laquelle on repousse nos limites, est-ce vraiment pour soi ?
Que pensez vous de la médiatisation de l’escalade en France ? Et est-ce selon vous assez équilibré entre les hommes et les femmes ?
On reste dans un microcosme, les grimpeurs sont à fond et les infos restent au sein de notre communauté. Notre sport est sous-médiatisé et pas vraiment exploité à sa juste valeur. L’entrée de la discipline aux JO est une évolution importante. Cette mise en lumière au près d’un nouveau public débouchera sûrement sur un apport financier bénéfique à notre développement. Pour moi, c’est un sport hyper complet et une philosophie de vie méritant d’être plus connu. L’escalade nous pousse à se poser des questions, à préserver la nature, à être ensemble et à se dépasser. Il y a un fil conducteur qu’on retrouve chez tous les grimpeurs du monde.
Y aurait-il des efforts à faire du côté des institutions ?
Oui, premièrement on manque de financement. Deuxièmement, lorsqu’on est athlète de haut niveau, nous ne sommes que très peu soutenus par notre Fédération et nos sponsors. Ce n’est pas reconnu comme métier, et pas uniquement pour les grimpeurs. Quand j’étais en équipe de France et dans le top 5 mondial, j’étais très souvent au RSA. Le problème subsiste et émane soit de l’État soit des marques ou de plusieurs facteurs à la fois. Le statut de sportif haut niveau devrait nous apporter plus de stabilité financière et de suivi.
Quels sont vos objectifs sportifs et extra sportifs ?
Mon objectif sportif, à condition d’être déconfiné, est de renouer avec une pratique régulière en extérieur pour me challenger sans me sentir oppressée par un besoin de performance. Je ne veux plus retomber dans ces pensées « il faut que je performe » ou à l’inverse « je ne fais plus rien du tout ». Je souhaite vraiment trouver le juste milieu. S’agissant de l’extra sportif, j’espère développer de plus en plus mon association pour qu’elle devienne pérenne et stable financièrement.
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