Elles ont marqué le 21ème siècle par des performances sportives, des coups d’éclat, des exploits, des records. Leur aura, atout déterminant de l’élan du sport féminin dans le monde, dépasse largement les frontières de leurs disciplines. Elles, ce sont les plus grandes championnes de l’ère moderne. Allyson Felix, grande dame de l’athlétisme mondial depuis près de deux décennies, est le sujet de ce deuxième portrait.
Elle possède plus de médailles qu’Usain Bolt. Est encore plus adulée que Florence Griffith-Joyner. Elle n’est que la seconde athlète de l’histoire, après Betty Cuthbert dans les années 50, à avoir été médaillée olympique sur les trois distances du sprint : 100 m, 200 m, 400 m. Allyson Felix est une mutante, pas vraiment fait du même bois que ses contemporaines. Un palmarès inégalé, doublé de la grâce d’une foulée légendaire. L’Américaine porte, depuis plus de 15 ans, l’athlétisme féminin sur ses épaules. Et elle le fait à merveille.
« Chicken Leg’s », terreur du lycée et révélation d’Athènes
Fille d’un père pasteur, d’origine créole, et d’une mère institutrice, Allyson Felix, née à Los Angeles en 1985, ne découvre l’athlétisme que par hasard, et sur le tard. Sa morphologie (des jambes très fines, un buste étroit) ne la prédispose pas à devenir une sprinteuse. Alors, lorsqu’elle s’essaye aux pointes d’athlétisme à son entrée au lycée, ses camarades lui trouvent très vite un surnom qui la suivra toute sa carrière : « Chicken leg’s (« Pattes de poulet »). En un an, la Californienne fait une progression fantastique. Alignée, dès ses 15 ans, sur les 200m des Championnats Seniors nationaux ( où elle atteint les demi-finales), Felix devient, en juillet 2001, championne du monde de la jeunesse sur 100m (11 s 57) sous la chaleur hongroise du stade de Debrecen. Primée aux Championnats de Californie 2002, où elle réalise le doublé 100-200m, l’adolescente, enchaînant les podiums internationaux chez les juniors, ne laisse plus personne indifférent sur les pistes.
Dans le pays de l’Oncle Sam, c’est bien elle, la prospect la plus prometteuse du circuit. Son 22 s 11, record du monde junior du 200 m pulvérisé, claqué à 2250 m d’altitude au Grand Prix Banamex de Mexico, fait taire les derniers sceptiques. Felix est une crack, que la délégation américaine, en pleine reconstruction, veut lover à tout prix. Il ne faudra finalement qu’un an à la prodige pour apporter à sa nation un premier sésame. Sa course quasi-parfaite lors de la finale du 200 m des Jeux Olympiques d’Athènes, dans la foulée de celle qui deviendra sa rivale des prochaines années, Veronica Campbell-Brown, vient conclure trois années de grâce, où Allyson Felix a fait une progression fulgurante. En la voyant monter sur la deuxième place du podium, le Monde entier observe avec admiration cette gamine de 18 ans au sourire angélique, à la foulée ample, fluide, incomparable. Inégalable.
Cravacher pour le Graal
8 août 2012 : dans un Stade Olympique de Londres plein à craquer, les flashs crépitent à travers les gradins alors que dans l’antre, les Reines s’affrontent. Au sortir de cette joute d’anthologie, une lueur, plus forte encore que celles qui l’entourent, s’illumine au milieu de la piste. Le sourire d’Allyson Felix est triomphal. A 26 ans, elle vient de remporter sa première médaille d’or olympique en individuelle. Une anomalie pour celle qui sur-domine le 200 m depuis tant d’années. En 21 s 88, elle terrasse ses rivales jamaïcaines Fraser Pryce ( 2ème en 22 s 09) et Veronica Campbell-Brown (4ème en 22 s 38) double championne olympique en titre de la distance. La californienne vient de vaincre le signe indien, alors que, quelques jours auparavant, elle était restée sur une décevante 5ème place lors du 100 m. Le seul manque à son palmarès vient d’être comblé. Car il faut le dire, entre 2005 et 2012, rien (ou presque) n’a échappé à « Chicken leg’s » sur la scène internationale.
Plus jeune championne du monde de l’histoire du 200 m lors des Mondiaux 2005 d’Helsinki, Felix illumine de tout son talent la piste d’Osaka deux ans plus tard, où elle réalise un incroyable triplé 200 m, 4 x 100 m et 4 x 400 m. La légende est déjà née. Insatiable, la protégée de Bob Kersee (l’ex entraîneur de Florence Griffith-Joyner), répète inlassablement le même schéma de course : un départ lent, avant une forte poussée au sortir du virage pour réaliser une dernière ligne droite en trombe, où, si ses adversaires n’ont pas pris une dizaine de mètres d’avance, il est impossible de la vaincre. C’est pourtant ce qui survient dans le nid d’oiseau de Pékin, en 2008. Ultra-favorite du 200 m, Allyson Felix est une nouvelle fois vaincue par l’irrésistible Campbell-Brown, malgré un retour tranchant. Longtemps donc, l’Américaine s’est consolée sur les relais, sa cour de récré. Son domaine. Déjà médaillée d’or sur le 4 x 400 m aux Jeux de Pékin, Felix and co remontent en haut de la boîte à Londres, où cerise sur le gâteau, elles remportent aussi le 4 x 100 m, record du monde à la clé. Oui, au virage de la décennie 2000-2010, tout le monde ne parle que d’Usain Bolt. Mais personne ne peut oublier la magie d’Allyson Felix, une impératrice au sommet de son art. Qui s’est envolée ce soir là, dans la folie britannique.
Des allers-retours et une transition parfaite
2013 est une année noire pour le clan Felix. Malgré le meilleur temps réalisé lors des demi-finales du 200 m (22 s 30), l’athlète s’écroule en plein virage de la finale, victime d’une déchirure aux ischio-jambiers. Sans elle, les relais américains ne remporteront pas l’or sur 4 x 100 m et 4 x 400 m. Longtemps en convalescence, Allyson Felix, transite, dans la force de l’âge, de plus en plus vers le 400 m. Une course bien plus stratégique, où l’expérience de la championne olympique du 200 m doit parler. Pour son grand retour, lors des Mondiaux de Pékin en 2015, le pari est amplement réussi. En l’absence de ses compatriotes McCorory et Richard-Ross, l’athlète de 29 ans s’impose facilement en 49 s 26 (nouveau record personnel) et devient la première athlète championne du monde sur 200 m et 400 m en individuel depuis la création des Mondiaux (1983). Toujours aussi intouchable, Felix voit double pour la préparation des Jeux 2016 de Rio. En visant l’or sur 200 m et 400 m, elle rêve d’égaler les exploits de Marie-José Perec (en 1996) et Valérie Brisco-Hooks (en 1984). Mais, sous l’ombre du Corcovado, incapable de réaliser ses standarts habituels ( il faut dire qu’une blessure à la cheville a freiné sa préparation), Allyson Felix voit son rêve brisé par sa 4ème place sur 200 m (à 1 centième du podium). En dilettante, elle se console avec une deuxième place sur 400 m où elle n’est vaincue que par le plongeon sur la ligne héroïque de Shaunee Miller, et sur ses deux habituelles breloques en or lors des relais.
Le début de la fin? Il en faut plus pour barrer totalement l’athlète la plus titrée de l’histoire. Triplement médaillée lors des Mondiaux 2017, Felix fait l’exploit de disputer, 10 mois après la mise au monde de son premier enfant, les torrides Championnats du Monde de Doha 2019, où elle empoche respectivement sa 11ème et 12ème médaille d’or aux Mondiaux. Voilà donc ce qu’est la super-star Allyson Felix. Un métal d’acier qui ne rompt jamais devant les obstacles, doublée d’une athlète à la technique parfaite, ayant su s’adapter avec le temps, et dont les innombrables succès, surtout, n’ont jamais entaché la motivation de toujours faire plus. Une femme pleine de cran, aussi, qui n’a pas manqué de dénoncer le traitement de son équipemntier Nike, qui l’a complètement délaissée lors de sa grossesse (tribune dans le New York Times en mai 2019). Sextuple médaillée d’or olympique, treize fois championne du monde, Allyson Felix est déjà, avant même d’avoir dit stop, la plus Grande de toutes. Et, à bientôt 35 ans, elle rêve de partir sur un ultime coup d’éclat. Avec sans doute comme dernière destination les anneaux de Tokyo, à l’horizon 2021. Histoire de s’ancrer un peu plus dans l’Histoire.
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