Pause sportive inédite imposée, c’est l’occasion de faire un zoom rétro sur ces sportives françaises qui ont marqué l’histoire. Le nouveau chapitre de cette série va plonger ce jeudi au cœur d’une des plus remuantes trajectoires du sport français au 21e siècle. Celle de la superstar de la natation tricolore, Laure Manaudou.
L’histoire ne s’est pas écrite en un jour. Mais elle a véritablement commencé un soir d’été sur une plage du Cap Fréhel, dans les Côtes-d’Armor. Il était une fois Jean-Luc, banquier et handballeur à mi-temps, entraîneur à des temps plus récents, 1,96 m de talent. Il était une fois Olga, joueuse professionnelle de badminton, tout droit venue de la campagne néerlandaise, fringuant charme beneluxien cumulant à 1,78 m. Le destin a voulu cette idyllique rencontre. Leur amour est devenu le premier fournisseur à breloques internationales du sport français. Car chez les Manaudou, la passion du sport, le goût de la compétition s’est transmis sur des ressorts. Et le talent est dans le sang.
Philippe Lucas, le facteur X
Née en 1986, le second enfant du couple franco-néerlandais ne s’est pas fait attendre pour prouver son talent en maillot. Comme programmé pour le milieu aquatique, Laure s’y immerge très prématurément, prenant des cours de natation dès ses 4 ans. Licenciée dans un petit club de l’Ain, à Ambérieu-en-Bugey, elle explose les compteurs dans les catégories jeunes, montrant à ses géniteurs le tempérament de compétitrice dont elle avait hérité. C’est à 14 ans qu’un premier tournant survient. À l’issue d’une compétition régionale, un entraîneur chevronné, le charismatique Philippe Lucas, marié à une ancienne nageuse de l’équipe de France, la remarque et convainc la famille d’emmener la jeune adolescente dans ses valises. C’est avec ce personnage clivant et ô combien exigeant, devenu depuis la vedette du bord des bassins pour son duo cultissime avec sa protégée, que la jeune championne va se forger un mental d’acier. Et va ainsi passer un cap dans ses performances. En l’hébergeant chez lui durant plusieurs années à Melun, Philippe Lucas, mêlant tendresse et dureté, va l’élever comme sa propre fille. Jusqu’à ce qu’elle s’élève elle même aux yeux du grand public.
Croquer l’Olympe
« La voir déjà triompher à cet âge ? Ça n’a fait que renforcer mon envie de vivre la même chose un jour. » Quand Florent, le petit dernier de la fratrie, évoque l’épopée de sa sœur lors des Jeux Olympiques d’Athènes, on ressent immédiatement l’admiration qu’il lui porte, mais aussi la douce surprise qu’il a vécue lors de cette semaine magistrale. Et il n’est pas le seul à avoir été éberlué. Le 15 août 2004, Laure Manaudou, pas encore 18 ans, déjà nonuple championne de France et triple championne d’Europe, éclabousse de son talent les bassins grecs, et s’impose en finale du 400m nage libre. Laure est en or, cinquante-deux ans après Jean Boiteux, qui demeurait à ce jour l’unique nageur français champion olympique.
La rareté de l’exploit mesure, à elle seule, la dimension que vient de prendre la jeune athlète dans la mémoire collective des Français. Après un demi-siècle de doute, c’est elle qui va placer, lors de ces olympiades 2004, les premières banderilles qui ouvriront une nouvelle page de la natation tricolore. L’âge d’or des Bleus, qui sera rythmé par l’ascension de prodiges multimédaillés : Camille Muffat, Alain Bernard, Yannick Agnel, Camille Lacourt, ou encore l’hégémonie exceptionnelle des relais masculins sur 4x100m. En ajoutant une magnifique médaille d’argent sur 800m nage libre et une autre de bronze, sur 100m dos, Manaudou confirme les espoirs immenses placés en elle depuis un peu plus d’un an.
Ado star
Car depuis le début de sa carrière, la néo recordwoman d’Europe du 400 nage libre connaissait un parcours sans faute. Elle a d’abord fait un carton plein lors de ses premiers Championnats nationaux, en 2003, avec 5 médailles d’or et 4 records de France à la clé. Et si derrière, sa qualification pour ses premiers mondiaux n’a pas été concluante, ce n’était que partie remise. L’année suivante, Laure Manaudou, toujours coachée par Phillipe Lucas, impressionne une nouvelle fois lors des championnats de France (4 médailles d’or) et gagne ses premiers galons sur la scène continentale, avec trois médailles d’or lors des championnats d’Europe de Madrid (400m nage libre, 100 dos, 4x100m 4 nages). L’été 2004 a donc propulsé l’Aindinoise dans une autre dimension. Celle de superstar du sport français, qui n’avait encore jamais connu une nageuse aussi complète.
Sous ses airs de poupon, la nouvelle chouchou du public ne compte pas s’arrêter sur sa lancée. En empochant l’Or sur 400m nage libre lors des Mondiaux de Montréal en 2005, elle obtient le seul titre qui lui manquait. A 18 ans, Manaudou se constitue déjà un palmarès immense. On lui promet alors une carrière à la Jenny Thompson, légende américaine dont la suprématie s’est étendue sur toute la décennie 1990. La Tricolore atteint le sommet lorsqu’elle bat en 2006 le mythique record du monde du 400 m nage libre, détenu depuis 1988 par Janet Evans. Malheureusement, il n’en faut pas beaucoup pour que la machine déraille.
Un goût d’inachevé
La carrière d’une nageuse ou d’un nageur est souvent brève. L’hégémonie de Laure Manaudou, elle, est de courte durée. Trois années de règne, entre 2004 et 2007, ornementées de cinq records du monde et de plus de soixante médailles d’or. Et puis, la décadence. Tout d’abord parce que la discipline, dont l’exigence physique quotidienne brûle à petit feu l’envie, ne prête pas à une longévité de golfeur. Ensuite parce que Laure Manaudou, sous ses aspects de princesse bien élevée, possède son caractère. Bien trempé. De son duo flamboyant avec Lucas, il n’en restera plus rien dès 2007, après un dernier gros succès lors des Mondiaux de Melbourne. Son départ pour l’Italie, où elle rejoint son petit ami de l’époque, est un vrai coup d’arrêt.
Les Jeux de Pekin 2008, d’où, en pleurs au micro de France 2, elle reviendra sans médaille, sont le coup de grâce. À 21 ans, « dégoûtée par la natation », Laure Manaudou annonce la fin de sa carrière. On ne la reverra plus virevolter entre les bouées, malgré une brève tentative de retour peu concluante entre 2011 et 2012. Paradoxalement, son arrêt définitif coïncide avec le début de la suprématie du cadet Florent, qui brigue le 50 m nage libre aux JO de Londres. Décidément, chez les Manaudou…
Désormais mère de deux enfants (dont l’un est né en 2010 de sa relation avec Frédéric Bousquet), Laure Manaudou pourrait nourrir des remords au vu de sa fin de carrière prématurée. Mais son empreinte reste aujourd’hui unique dans le monde du sport français. De son immense palmarès, de son étrange complicité avec Philippe Lucas, il y aurait tant à dire et redire sur le parcours de cette championne unique, ultra-médiatisée, qui a enflammé les piscines du monde entier d’exploits et de superlatifs. L’histoire n’est pas parfaite. Mais c’est la destinée d’une icône. Celle de Laure Manaudou, la reine de la natation française. Et jusqu’à preuve du contraire, une reine est bien seule sur son trône.
Photo à la Une : (@DR)
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